Entreprises, vos collaborateurs se forment dans votre dos ! Pourquoi c’est une bonne nouvelle
Avec les MOOC, les collaborateurs prennent en main leur propre formation. Comment les entreprises peuvent-elles en tirer parti ?
Par Jean Condé – Le 2 février 2017
Les MOOC, en permettant à chacun de se former quand il le souhaite, à son rythme et en ligne, sont un moyen pour les collaborateurs des entreprises de s’émanciper et de prendre en main leur formation pour actualiser leurs compétences, maintenir leur employabilité et progresser dans leur carrière. Comment les entreprises peuvent-elles en tirer parti ?
Sur l’auteur : Jean Condé est doctorant au laboratoire STEF de l’ENS Cachan, Paris Saclay. Sa thèse traite des questions que soulèvent l’avènement des MOOC dans le monde de l’entreprise.
Depuis le traité de Lisbonne en 2009, les pouvoirs publics Européens et nationaux s’attachent à responsabiliser l’individu vis à vis de sa formation professionnelle jusque-là apanage de l’Etat et de l’Entreprise. Les textes incitent en effet tout un chacun à prendre en main sa carrière et donc sa formation. L’objectif du salarié n’est plus d’être « employé » mais de rester « employable », c’est-à-dire capable de maintenir un niveau de compétence suffisant pour rester compétitif sur un marché du travail incertain et fluctuant.
Si le Compte Personnel de Formation (CPF) est l’incarnation juridique au niveau français de cette nouvelle orientation de la formation professionnelle, en conférant à l’individu la tâche de choisir sa formation, et de faire les démarches pour obtenir son financement, les MOOC, entendu ici dans leur format ouvert, peuvent être considérés comme la matérialisation technico-pédagogique de cette évolution. De par leur relative gratuité et leur potentiel certifiant, ils offrent aux salariés l’opportunité de s’émanciper de leur entreprise et des circuits institutionnels de la formation continue (organismes de formation, OPCA, organismes de certification…).
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Quels intérêts de se former avec les MOOC en entreprise ?
Selon Norbert Alter, l’innovation n’existe que dans les usages quotidiens de l’invention. Si le MOOC est l’invention, encore faut-il observer sur le terrain de l’entreprise, les expériences qui sont en ce moment menées, et qui fondent le caractère réellement innovant des MOOC. C’est ce que je m’attache à faire depuis le début de ma thèse. Voici les deux principales innovations qui émergent de mes observations :
Les MOOC permettent de répondre aux besoins des salariés « juste à temps »
Les MOOC font le lien entre des modalités de formation formelles ou traditionnelles, qui pêchent par la lenteur de sa mise en action et la formation informelle qui autorise un meilleur temps de réponse par rapport aux besoins de formation, mais qui pâtit d’un problème de reconnaissance et de structuration. En transgressant les circuits classiques de la formation continue, (manager, RH, OPCA…) les MOOC sont à la fois mobilisables en quelques clics, structurants et potentiellement porteurs de reconnaissance institutionnelle. Ainsi, un salarié changeant de poste et nécessitant rapidement de nouvelles compétences en gestion de projet, peut décider seul de se former grâce à un MOOC, et capitaliser sur cette formation grâce aux certificats et à la reconnaissance du MOOC sur le marché de l’emploi (et éventuellement au niveau institutionnel : crédits ECTS, qualification reconnue RNCP). Il s’agit là d’une petite révolution à l’échelle de la formation tout au long de la vie.
Ils permettent d’optimiser les temps morts
Flexibles, les MOOC peuvent être utilisés pendant les temps morts des salariés. Pendant le temps professionnel, lorsque la pression du travail diminue à certaines périodes de l’année, et pendant le temps personnel, si le salarié y voit un intérêt pour son employabilité.
Les salariés utilisent-ils les MOOC ?
Toutes les enquêtes statistiques de grande envergure réalisées depuis trois ans (aux USA, dans l’étude de Cristensen (2013), en France, avec la thèse de Matthieu Cisel (2016), pour ne citer qu’eux) indiquent les mêmes résultats : les utilisateurs de MOOC sont en grande proportion des trentenaires, diplômés et salariés à plein temps. La principale motivation pour suivre un MOOC est la montée en compétence, cela faisant écho à la montée en puissance d’une culture de l’autoformation décrite en introduction.
Certains individus salariés se forment donc en toute autonomie, en dehors des sentiers balisés par l’Etat et par l’Entreprise. Et ils le font, semble-t-il, le plus souvent “dans le dos” des managers et autres supérieurs hiérarchiques et administratifs de l’entreprise. Cela constitue un intérêt certain pour ces dernières qui voient les compétences des salariés évoluer à moindre frais, dans des domaines où la formation traditionnelle peine à être efficace : compétences transversales, culture du digital, gestion de projet, innovation…
Il existe toutefois des limites criantes à cette modalité d’autoformation. Des limites que l’on peut exprimer en termes d’obstacles à l’accès aux MOOC. On peut en distinguer deux types : les obstacles internes et externes. Les premiers relèvent des dispositions individuelles des salariés (capacité cognitive, motivation, situation familiale…) et les seconds de leur environnement professionnel (degré de liberté, temps disponible, culture d’apprentissage de l’entreprise…). On peut ajouter l’obstacle informationnel à ces deux catégories, la connaissance de l’existence des MOOC étant préalable à toute autre considération.
La conséquence de ces obstacles est que seule une minorité de salariés utilise les MOOC, et une plus petite minorité encore, l’utilise efficacement pour monter en compétences.
Comment l’entreprise peut-elle contribuer à lever ces obstacles ?
Si l’entreprise considère positivement le fait que les salariés s’autoforment, son intérêt est de favoriser l’accès aux MOOC de tous ses salariés, et d’aider le transfert du savoir à la compétence. Pour ce faire, une enquête que j’ai menée montre qu’il est possible d’agir à des niveaux informationnels, structurels et pédagogiques.
Informationnel
Il s’agit dans un premier temps de donner l’accès à l’information que les MOOC existent, et que certains d’entre eux répondent peut-être à des besoins de l’individu. Dans de nombreuses entreprises, les RH communiquent via le réseau interne ou via une newsletter, au sujet des derniers MOOC sortis, avec une mention spéciale pour les MOOC tournés vers certains besoins identifiés. Cette information peut être renforcée lors des réunions d’équipe via les managers impliqués dans le projet.
Structurel (administratif)
Favoriser l’accès du plus grand nombre aux MOOC, c’est d’abord limiter l’effet des obstacles externes. Certains dispositifs administratifs peuvent contribuer à cet effort : formaliser le financement de tout certificat de MOOC obtenu, garantir un temps de récupération sous présentation du certificat de suivi, dégager un temps de formation hebdomadaire ou mensuel pour tous les salariés, reconnaître les connaissances acquises dans le cadre d’un portfolio interne… tels sont les dispositifs d’accompagnement administratif déjà mis en place dans certaines entreprises. Ils doivent s’inscrire hors des cadres juridiques de la formation continue, cadres peu adaptés à la formation « just in time » aujourd’hui nécessaire à un maintien de la compétitivité basée sur la connaissance et l’innovation. Ces dispositifs contribuent à la construction progressive d’une culture d’apprentissage, facteur que de très nombreux chercheurs mettent au premier plan pour distinguer les environnements favorisants ou limitants l’apprentissage dans l’organisation.
Pédagogique
Si le cadre administratif ou structurel peut limiter l’effet des obstacles externes et ainsi favoriser l’accès aux MOOC, son effet est faible sur l’apprentissage et la montée en compétences des salariés. Or, le rôle de l’entreprise est considérable sur ce plan. L’idée est d’encourager à la fois la collaboration inter-individuelle, inter-hiérarchique et inter-services ainsi que la mise en œuvre des savoirs vus dans le MOOC. Des initiatives ont montré l’intérêt de s’appuyer sur un MOOC pour travailler collectivement sur un projet, par exemple. Des réunions hebdomadaires sont alors programmées et servent de tutelles motivationnelles et de plages d’application des savoirs en cours d’acquisition. Plus généralement, l’entreprise peut favoriser sur un temps long la mise en œuvre de nouvelles idées, de nouveaux savoirs, cela signifiant l’acceptation d’une certaine prise de risque et la tolérance à l’erreur. Un marqueur supplémentaire d’une culture d’apprentissage en devenir.
- Carré, P. (2005). L’apprenance. Vers un nouveau rapport au savoir. Paris: Dunod, 212
- Alter, N. (2015). L’innovation ordinaire. Presses universitaires de France
- Christensen, G., Steinmetz, A., Alcorn, B., Bennett, A., Woods, D., & Emanuel, E. J. (2013). The MOOC phenomenon: Who takes massive open online courses and why?
- Cisel, M. (2016). Utilisations des MOOC: éléments de typologie (Doctoral dissertation, Université Paris-Saclay)
- Solar, C., Baril, D., Roussel, J. F., & Lauzon, N. (2016). Les obstacles à la formation en entreprise. Savoirs, (2), 9–54
- Premier critère de définition de l’apprentissage informel selon V.Marsick, chercheuse canadienne sur l’apprentissage informel en entreprise
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