Fraudes et contentieux CPF : où en est-on ?
Décryptage des derniers rebondissements juridiques sur les contentieux liés au déréférencements d’organismes de formation.
Par Johann Vidalenc – Le 27 octobre 2022
Alors que la proposition de loi “Fuchs” visant à lutter contre la fraude au CPF et à interdire le démarchage de ses titulaires a été adoptée à l’unanimité, Sabrina Dougados, Avocat associé chez Fromont Briens, et Johann Vidalenc, Responsable Financements et Certifications chez Unow, reviennent sur les contentieux liés au déréférencements d’organismes de formation.
Cet article est issu du webinaire “CPF, Loi Avenir, apprentissage… Toute l’actu du droit de la formation” qui a eu lieu le 27 septembre 2022.
CPF : la fin de la croissance ?
Après plusieurs années de croissance à plus de 100 %, le CPF connaît actuellement une période de régulation. Le dispositif semble avoir atteint un plafond, avec le même nombre de dossiers financés en 2022 qu’en 2021 : c’est la fin d’une dynamique de hausse, qui peut être expliquée, en partie, par la mauvaise image dont souffre actuellement le CPF.
Déréférencements en masse
Les autorités publiques ne sont pas restées sans rien faire pour combattre les fraudes : la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) a beaucoup œuvré pour réguler les abus, et a mis en place une politique de contrôle qui a occasionné le déréférencement de plusieurs centaines d’organismes de formation sur la plateforme MonCompteFormation.
Ces déréférencements étaient pour la plus grande partie liés au code 203, le code CPF des formations liées à la création et la reprise d’entreprise (ACRE). Celui-ci a laissé la place à l’interprétation sur les formations qui pouvaient rentrer dans ce cadre, et donc a favorisé les fraudes.
Un décret a d’ailleurs été mis en place pour statuer que les formations ACRE devaient vraiment porter sur les compétences génériques liées à la création et la reprise d’entreprise (comptabilité d’entreprise, recrutement …, et non pas sur des formations métiers liées à l’activité de l’entreprise (coiffure, cuisine …).
La campagne de lutte contre certaines formations – dont les formations ACRE – menée par la CDC a entraîné un déréférencement pouvant aller jusqu’à neuf mois sur la plateforme « MonCompteFormation » pour de nombreux organismes de formation.
Rejet de la quasi-totalité des requêtes formées contre les décisions de référencement
Certains organismes de formation ont formé des recours devant les tribunaux administratifs aux fins d’obtenir la suspension de la décision de la CDC, et les premières décisions de justice ont été rendues dans le cadre de procédures en référé (accélérées) depuis cet été.
Les moyens invoqués par les requérants :
✔ La décision de déréférencement présente un caractère disproportionné ;
✔ La décision de déréférencement est insuffisamment motivée ;
✔ La procédure est irrégulière au regard des conditions particulières de la plateforme ;
✔ Décision remettant en cause la viabilité économique de l’OF déréférencé.
À savoir que le déréférencement sur la plateforme “MonCompteFormation”, d’une durée de 9 mois, est total : si une des formations d’un OF est soupçonnée de fraude, toutes les autres offres inscrites au CPF sont déréférencées.
Au global, l’essentiel des décisions prises par les juges administratifs donnent raison à la Caisse des Dépôts, et la quasi-totalité des requêtes formées en référé devant les tribunaux administratifs (TA) contre les décisions de référencement prises la CDC ont été déboutées.
Principaux motifs retenus par les juges administratifs :
✔ L’OF n’établit pas que la mesure de déréférencement prise par la CDC est constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale ;
✔ Les allégations liées aux conséquences de la décision déréférencement sur la viabilité économique de l’OF ne sont pas étayées par des éléments précis et sérieux.
En effet, les organismes de formation en question n’ont pas su démontrer par des éléments tangibles les effets du déréférencement.
2 décisions de juges donnent gain de cause à l’OF
Aux tribunaux administratifs de Grenoble et de Dijon, deux décisions ont suspendu le déréférencement d’organismes de formation jusqu’à ce qu’il soit statué au fond.
Tribunal administratif de Grenoble, 27 juillet 2022
L’OF réalisait l’essentiel de son activité (formations ACRE) via le CPF (élément attesté par des pièces produites par un expert-comptable).
Par ailleurs, le courrier de la CDC mentionnait seulement que « les justificatifs fournis ne sont pas conformes à ce qui était attendu » : une telle formulation, par son imprécision, ne comporte pas l’énoncé des considérations de fait qui en constituent le fondement.
Ce défaut de motivation en l’espèce était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de déréférencement.
Par conséquent, le tribunal administratif suspend la décision de déréférencement et ordonne à la CDC de référencer de l’OF sur la plateforme MonCompteFormation.
Tribunal administratif de Dijon, 3 août 2022
L’OF réalisait 80 % de son CA via le CPF (élément attesté par des pièces produites par un expert-comptable).
La conformité du contenu des formations ACRE n’était pas contestée par la CDC, contrairement aux 2 autres conditions :
viabilité des projets des stagiaires ;
réalité du suivi pédagogique.
Le déréférencement pour 9 mois avait pour conséquence de mettre un terme à l’exercice de l’essentiel de l’activité de l’OF.
Dans ces conditions, on peut considérer que la CDC a pu commettre une erreur d’appréciation puisque l’échelle des sanctions prévue par les CG s’étend de 7 jours à 1 an et qu’il existait un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Résultat : là aussi le tribunal administratif suspend la décision de déréférencement et ordonne à la CDC de référencer de l’OF sur la plateforme MonCompteFormation.
La première condamnation pénale suite à un contentieux CPF
La première condamnation pour fraude d’un organisme de formation a eu lieu en septembre, pour faits d’escroquerie et de faux.
L’organisme de formation en question avait obtenu plus de 3 millions de financement via le CPF par la CDC. Aucune action de formation n’était réalisée : les stagiaires recevaient des cadeaux contre la signature de fausse feuilles d’émargement.
Sur le plan pénal, la dirigeante est condamnée à 3 ans d’emprisonnement et à 10 ans d’interdiction de gestion d’un organisme de formation.
Les conséquences sont lourdes aussi sur le plan civil : la directrice de l’organisme se voit infliger une amende de 300 000 euros.
Pour en savoir plus sur les réformes juridiques à venir dans le secteur de la formation professionnelle, consultez le replay de notre webinaire.
Webinaire sur le droit de la formation
CPF, Loi Avenir, apprentissage… Toute l’actu du droit de la formation
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